Comment je suis devenu guide d’observation des baleines à Madagascar après avoir quitté mon CDI en marketing chez Dior ?

La meilleure et la pire expérience de ma vie.

Le jour où j’ai décroché un CDI en marketing chez Dior, je m’y voyais faire carrière pour de longues années. La « voie royale » après une école de commerce :

  • Un grand groupe du CAC40 dans le luxe
  • Un salaire confortable de 3,300 euros par mois
  • Des bureaux en plein cœur de Paris

Que demander de plus ? Je pensais avoir décroché le jackpot !

 

Partir un jour, sans retour

Après 6 mois, l’excitation des débuts s’essoufflait, et la routine infernale s’installait. Metro, boulot, dodo. Plus les jours passaient, plus j’étais fatigué et plus mon travail perdait de son sens. Les réunions interminables et les heures passées sur power point m’excitaient beaucoup moins que ce qu’on m’avait vendu à l’entretien. Je me sentais à coté de mes pompes et je passais plus de temps à regarder par la fenêtre qu’à regarder l’écran de mon ordinateur.

Un matin de novembre, j’avais une fois de plus du mal à m’arracher du lit. Je pensais aux heures passées à débattre de la couleur du prochain rouge à lèvres parce que 10 personnes n’arrivaient pas à se mettre d’accord. Est-ce que j’avais envie de me lever tous les matins pour ‘CA’ ? La réponse était ‘NON’.

A la fin du mois de février, je signais une rupture conventionnelle avec la boîte pour partir au mois de juin. Mon passage aura été rapide. J’avais hâte de partir !

 

L’annonce Facebook qui a changé tous mes plans

Alors que je faisais défiler mon feed Facebook sur mon ordinateur de bureau, une annonce sur un groupe privé stoppa net mon attention.

Les propriétaires d’un Lodge sur une île à coté de Madagascar recherchaient un « éco volontaire baleines » pour l’été.

La mission ?  Accompagner les touristes lors des excursions d’observation des baleines à bosse et animer des soirées au Lodge sur la protection des mammifères marins. En contrepartie de quoi je serais nourri logé.

Ni une, ni deux. J’ai senti mon cœur s’emballer. Je trouvais l’idée géniale ! J’allais non seulement pouvoir prendre le large pour me ressourcer, mais aussi faire un job qui n’avait rien à voir avec ce que j’avais pu faire jusque-là.

 

Le grand saut

Le 19 juin 2016, deux jours après avoir quitté Dior, j’étais dans l’avion pour Madagascar. Les plages paradisiaques que j’avais mis en fond d’écran au bureau allaient enfin devenir réalité.

Je pensais que les sorties baleines et les soirées sur les mammifères marins allaient occuper pleinement mes semaines. Mais j’avais surestimé la fréquentation touristique de l’ile qui était plus que faible et en déclin. Quand il y avait 3 sorties en mer et deux soirées de présentation à faire c’était les grosses semaines. Le reste du temps, c’était très calme.

Pour la première fois de ma vie j’avais du temps pour moi. Au début c’était carrément flippant. Je m’ennuyais. Puis j’ai appris à adopter un nouveau rythme : lire, écrire, faire du kayak, aller pêcher, jouer au tarot, regarder des films. Des choses que je ne prenais jamais le temps de faire. Ça paraitra certainement banal pour certains mais pour moi c’était le kiffe.

 

Le changement

J’aurais pu m’attendre à avoir une révélation particulière au cours de ces 3 mois et prendre un virage à 360 :

  • Me reconvertir dans la protection des mammifères marins ?
  • Devenir joueur de tarot professionnel ?
  • Pourquoi pas pêcheur ?

Je n’ai pris aucun de ces virages, mais je me suis rendu compte que j’étais capable de le faire si j’en avais envie.

Si en moins de 3 mois j’arrivais à organiser des sorties d’observation des baleines et animer des soirées sur les mammifères marins, tout ça sans rien y connaître avant de partir, alors je ne devais reculer devant rien. Cette leçon n’avait pas de prix !

Au fil de mon séjour je sentais que je reprenais confiance en moi. Je me souciais moins du passé ou du futur et je vivais enfin au présent. Je ressentais les bénéfices de la coupure avec ma vie d’avant. Je faisais le plein de bonnes énergies qui me permettraient de revenir en France avec un regard nouveau.

Malheureusement, tout n’allait pas se dérouler comme prévu.

 

Du Paradis à l’Enfer

Sur l’ile, nous étions un groupe de 15 volontaires répartis dans une dizaine d’hôtels.  Tous guides d’observation des baleines au nom de l’association Cétamada qui protège les mammifères marins à Madagascar.

Chaque samedi, on se retrouvait dans un hôtel de l’ile pour y passer la soirée et partager tout ce qu’on avait pu observer pendant la semaine. J’adorais ces rendez-vous. C’était toujours l’occasion de passer une bonne soirée ensemble. Après plusieurs semaines on formait une bonne équipe.

Le samedi 20 août, après un bon début de soirée nous étions tous partis danser à la Case à Nono : la « discothèque » de l’ile où un DJ connu de Madagascar venait mixer ce soir-là. Après nous être déhanchés sur le dancefloor, je rentrais au nord de l’ile pas trop tard pour être en forme pour la sortie baleine que j’avais à 8h du matin. Le lendemain, malgré un réveil un peu difficile, j’assurais la sortie en mer avec les touristes comme un chef.

A mon retour au Lodge, Catherine la propriétaire me demanda si elle pouvait me parler dans le salon. Elle avait l’air anormalement préoccupée. Quelques secondes après m’être assis elle m’annonçait que deux éco volontaires avaient été retrouvés assassinés sur la plage au petit matin. Mes deux potes Romain et Magalie avec qui je dansais encore il y a quelques heures. J’étais sous le choc. J’avais l’impression de m’être pris un mur en pleine face.

 

L’après

La semaine qui a suivi était surréaliste. Avec les autres éco volontaires nous étions tous hébergés dans un hôtel sécurisé de l’ile. Ça nous permettait d’être réunis le temps que les policiers Malgaches réalisent l’enquête (qui reste encore irrésolue à ce jour). On était tous comme des zombis.

La saison touristique des baleines qui devait se terminer mi-septembre prit fin plus tôt que prévu. Nous avons quitté l’ile les uns après les autres. Les au revoir étaient difficiles, mais quitter l’ile dans ces circonstances était un soulagement.

 

Le retour

A mon retour à Paris j’étais déboussolé. Un mélange entre l’impression d’être revenu à la case départ et celui d’être passé sous un rouleau compresseur.

J’avais envie de raconter à tout le monde mon voyage avec l’enthousiasme qu’on me connait :

  • Mon émerveillement à chaque sortie baleine
  • Les saveurs incroyables de la nourriture locale
  • Le rythme apaisant de mes journées
  • Les anecdotes de mon périple

Mais après le traumatisme que je venais de vivre il était difficile de se rappeler uniquement des bons souvenirs. Quand je n’évoquais pas cet évènement le récit me semblait artificiel. Et quand je l’évoquais, il était gâché. Je ne savais pas dans quelle dimension me positionner.

J’ai passé plusieurs mois au chômage. J’allais tous les matins au même café pour passer en revue toutes les offres de job en espérant avoir un coup de cœur similaire à celui que j’avais eu pour partir à Madagascar quelques mois auparavant. Malheureusement il n’y avait plus grand-chose qui résonnait en moi à cette époque.

Au bout de quelques mois j’ai retrouvé un nouveau boulot qui me tentait tant pour son contenu que pour l’expérience qu’il allait me permettre de vivre. J’allais quitter la France à nouveau pour m’envoler vers les États-Unis et passer 2 ans à aider des entreprises françaises dans le luxe et la beauté à réussir leur stratégie d’export sur le marché américain. Une expérience qui m’a permis de me remettre en selle et dans laquelle je me suis bien éclaté !

 

Les montagnes russes

L’enchainement de tous ces évènements s’est déroulé sur une période d’environ 18 mois. Je vous laisse imaginer l’ascenseur émotionnel dont je me serais bien passé.

Je m’attendais à une montée d’excitation fulgurante après mon départ de chez Dior. Je ne pensais pas une seule seconde que j’embarquais dans un wagon de montagnes russes.

Aujourd’hui encore j’aimerais raconter cette histoire différemment.

Quand j’ai commencé à écrire cet article je ne voulais pas mentionner la mort de Romain et Magalie. J’avais peur que ça gêne. Je voulais une histoire inspirante. Celle que tout le monde rêverait d’écrire. J’ai essayé de retourner les conclusions de l’article dans tous les sens mais à chaque fois ça sonnait faux. C’était inachevé. Ce n’était pas moi.

4 ans plus tard j’arrive enfin à raconter cette histoire avec fierté malgré la difficulté à évoquer certains évènements. Je me rends compte à quel point elle m’a permis de gagner en confiance et d’apprendre sur moi :

  • Ma capacité à oser
  • Ma rapidité à apprendre
  • Ma résilience
  • Mes émotions
  • Mes peurs et mes envies

Parfois je doute des choix que j’ai pu faire au moment où j’ai décidé de partir de chez Dior. Alors je prends quelques minutes pour me rappeler tout ce qui a pu m’arriver au cours des 4 dernières années. Tout ce que j’ai appris. Tout ce que j’ai découvert. Toute l’inspiration que j’ai pu avoir. Et pas une seule seconde je regrette !